L'Histoire de Piera ( Storia di Piera) film franco-italien réalisé par Marco Ferreri, sorti en 1983.

Analyse critique

Le film commence dans l'immédiat après-guerre italien, en 1945, avec ses cortèges de GI's enlacés avec les jolies italiennes. Comme à l'écart, dans une belle demeure, vit un couple protégé. Lui est tout occupé à son militantisme communiste. Elle, Eugenia, quoique aimée, est assoiffée d'amour et de liberté et se soucie peu des convenances. Bientôt, elle a une petite fille, Piera. Adolescente, celle-ci accompagne sa mère dans ses aventures amoureuses.

Elle pose son regard interrogateur, incertain sur sa mère, étrange. Sur son père également que la politique conduit loin de la ville. Les années soixante sont là et Piera est devenue une belle jeune femme libre, mieux assumée qu'Eugenia, son "modèle". Elle agit pour elle-même désormais. Et c'est ainsi que rendant visite à son père mourant, elle se donne à lui, ultime et incestueux cadeau. Elle s'occupe aussi d'Eugenia dont elle détourne un amant. Piera continue son chemin et devient comédienne, obtenant le succès dans le rôle de Médée, la célèbre matricide. Equilibrée, de plus en plus épanouie et sûre d'elle-même, Pierra retrouve Eugenia. Sur une plage où jadis la fille surprit la mère accouplée à un jeune garçon, Piera et Eugenia se touchent, s'enlacent, s'aiment, fille et mère se confondant, s'absorbant dans un amour qu'on dirait parfait.

Ce qui est passionnant chez Marco Ferreri, c'est son art de la variation: d'un point de vue thématique, Histoire de Pierra n'est pas vraiment une surprise. Ferreri y poursuit une réflexion commencée depuis longtemps : les péripéties de la guerre des sexes, l'émergence d'« êtres de transition », le rôle de la femme dans la société contemporaine. Il y a chez Ferreri une façon émouvante de taper avec obstination sur le même clou, qui fait qu'on est à chaque fois en terrain familier. Ferreri privilégie lors de chaque film telle ou telle facette du prisme du discours, ne filme jamais son univers exactement sous le même angle. L 'ensemble des films de Marco Ferreri dessine un monde dont les thèmes s'organisent à chaque fois selon une combinatoire légèrement différente.

La séquence finale d' Histoire de Pierra, la mère et la fille (Eugenia et Pierra) s'étreignent, nues, sur une plage, lieu privilégiè où se clôt chacun de quatre derniers films de Ferreri. Dans Rêve de singe, une femme et sa petite fille; Chiedo Asilo, un homme et un petit garçon autiste, Contes de la folie ordinaire, un homme et une jeune fille rédemptrice. L'univers selon Ferreri obéit une constante redistribution des sexes et des âges, et la réconciliation, le rachat, la fusion ou la mort ne peuvent avoir lieu que face à la matrice originelle. La redistribution des sexes est indissociable de celle des âges de la vie. Cette Histoire de Pierra s'ouvre sur un accouchement et se termine sur une étreinte qui est, au-delà de sa dimension incestueuse, comme le renouement du lien ombilical.

Ferreri, une fois de plus, refuse le mot et le concept d ' « enfant » : la façon dont il habille, dès les premières séquences, la jeune Pierra, fait d'elle une petite femme. L 'homme, dans Histoire de Pierra, est hors-champ. Soit il s'éjecte de lui-même, « Il se passe trop de choses compliquées dans cette famille », dit le jeune frère de Pierra. Soit il s'agrippe aux derniers vestiges de son pouvoir et de ses idéaux, comme le père s'accroche de façon dérisoire mais touchante, jamais ridicule, à cette « bandera rossa ».

Tous les personnages de Histoire de Pierra ont à voir avec la folie, mais ce n'est pas de la même manière pour chacun. La folie du père lui vient de sa femme , et il ne sait qu'en faire, sinon en mourir. Pierra et Eugenia surtout vivent à corps perdu une folie « ordinaire », entendons par là une folie qui est sinon dans l'ordre social, du moins dans l'ordre de leur nature. C'est dans la folie qu'Eugenia, et dans une certaine mesure Pierra puisent leur énergie. Elles peuvent vivre sur leurs propres ressources, faire de la folie non pas un instrument de déchéance, mais une véritable force de vie.

A l'image de sa scène initiale, un accouchement tout en sourires, Histoire de Pierra baigne dans le doux placenta d'images et de sons. Ce sont toujours le plaisir et la douceur de vivre qui l'emportent. Ferreri y confirme son amour d'une sensualité directe, non sophistiquée dans cette histoire où règne, souveraine, une oralité ludique et souriante. S'il y a message chez Ferreri, il est de nature poétique, et le comportement brut l'emporte toujours sur l'explication psychologique.

La scène où Pierra enfant voit sa mère faire l'amour sur la plage n'est pas vraiment donnée comme un traumatisme, et l'inceste pas vraiment comme une transgression. Histoire de Pierra n'est pas, contrairement aux apparences, un manifeste pour une sexualité « libérée », comme on dit. C'est d'abord un conte de fées moderne ( l'oralité de Ferreri, une rêverie de poète sur une utopie où les tabous seraient sinon totalement levés, du moins déplacés, redistribués, comme joués aux dés. Avec sa grâce nonchalante, Histoire de Pierra est le film d'un homme plutôt serein, qui a dépassè le pessimisme et qui préfère maintenant aux soubresauts du monde la lumière apaisante des aubes d'été.

Distribution Maurizio Donadoni : Massimo Bettina Gruhn : Piera enfant Isabelle Huppert : Piera Tanya Lopert : Elide Marcello Mastroianni : le père Lidia Montanari : Cent mille lires Aïché Nana : la sage-femme Hanna Schygulla : Eugenia Fiche technique Titre : L'Histoire de Piera Titre original : Storia di Piera Réalisation : Marco Ferreri Scénario : Piera Degli Esposti , Marco Ferreri , Dacia Maraini Production : Faso Film (Rome) , Sara Films, T. Films Directeur de la photographie : Ennio Guarnieri Musique originale : Philippe Sarde Nationalité: France, Italie, Allemagne Durée : 115 minutes Date de sortie : 18 mai 1983 (Cannes, France ) Palme de la meilleure actrice Cannes 1983 pour Hanna Schygulla